De Fil en Aiguille : Comment un Diagnostic, une Dépression et 30 Kilos en Moins ont Tissé la Toile de Zen & Dia
Si on m’avait dit…
Si on avait dit à la Julie de 15 ans, cachée derrière ses carnets de croquis et une couronne afro imposante, qu’un jour elle lancerait une marque inspirée par une maladie chronique, elle aurait probablement rougi, bafouillé, et serait retournée dessiner des robes de soirée pour se calmer. Cette Julie-là, le monde extérieur l’intimidait. Son univers, c’était le silence de sa chambre, le crissement d’un crayon sur le papier et les histoires qu’elle inventait pour s’évader. L’idée de devenir entrepreneuse, de raconter son histoire au grand jour ? De la pure science-fiction.
Pourtant, la vie a un sens de l’humour bien particulier et un talent certain pour le tricotage de destins inattendus. Mon histoire, et celle de Zen & Dia, n’est pas une ligne droite. C’est un enchevêtrement de fils : celui d’une timidité maladive, d’une passion dévorante pour la création, d’une reconversion en « maman-trepreneuse », d’un diagnostic qui fait l’effet d’une bombe, d’une dépression carabinée et d’un voyage qui a tout changé.
Ce que vous lisez aujourd’hui n’est pas un plan de carrière méticuleusement exécuté. C’est le récit de la manière dont tous ces fils, emmêlés et parfois cassés, ont fini par être retissés ensemble pour créer quelque chose de solide, de doux et, je l’espère, de réconfortant. C’est l’histoire de Zen & Dia, une marque née non pas d’une ambition, mais d’une nécessité ; un projet qui a trouvé son but au cœur même de l’adversité.
La Timide qui se Rêvait sur Scène (et dans les Magazines de Mode)
Pour comprendre Zen & Dia, il faut d’abord rencontrer la Julie d’avant. Une jeune fille plutôt solitaire, mais jamais vraiment seule. Ma solitude était un sanctuaire, un espace foisonnant où je pouvais être qui je voulais. Je passais des heures à écrire des histoires, à dévorer des livres, ou à dessiner des portraits inspirés des magazines de mode qui traînaient à la maison. Ces activités n’étaient pas de simples passe-temps ; elles étaient mes modes d’expression privilégiés, des canaux pour communiquer tout ce que ma voix timide n’osait pas formuler. Le dessin et l’écriture étaient des moyens de partager mon monde intérieur, de traduire mes émotions sans avoir à affronter le regard des autres.
Pourtant, au fond de moi, une petite voix aspirait à plus. C’est cette voix qui m’a poussée à m’inscrire à des cours de théâtre. Pour une fille qui considérait le fait de commander une baguette comme une épreuve digne de « Koh-Lanta », monter sur scène relevait du défi ultime. Et ce fut une révélation. Le théâtre a ce pouvoir magique de nous offrir un masque pour enfin révéler notre vrai visage. En me glissant dans la peau d’un personnage, en prêtant ma voix à des mots qui n’étaient pas les miens, je me sentais paradoxalement plus libre et plus authentique. C’est un outil formidable pour surmonter ses peurs, apprendre à gérer son stress et se libérer de ses blocages émotionnels, dans un cadre bienveillant où personne ne juge.
Ce que j’ignorais à l’époque, c’est que cette jeunesse passée dans ma bulle créative était en réalité un apprentissage. Sans le savoir, j’étais en train d’acquérir toutes les compétences qui me seraient essentielles des années plus tard. Le théâtre m’apprenait à surmonter la peur du jugement et à m’exprimer devant un public, une compétence cruciale pour quiconque veut défendre un projet. L’écriture d’histoires m’enseignait l’art de la narration, comment créer une trame et un univers qui captivent, ce qui est le cœur même dustorytelling de marque. Et en dessinant des silhouettes de mode, je développais mon sens de l’esthétique, ma compréhension des tendances et ma capacité à créer une identité visuelle forte. La timide qui se cachait dans sa chambre était, sans le réaliser, en train de faire ses gammes d’entrepreneuse.
L’Entracte : De Salariée à « Maman-trepreneuse » de Bandeaux
Puis, la vie d’adulte a commencé, avec un parcours de salariée tout ce qu’il y a de plus classique dans la Mode. Jusqu’au premier grand bouleversement : la maternité. Devenir maman a été un véritable séisme. Mes priorités, ma vision du monde, mon rapport au temps, tout a été redéfini. Le costume de la salariée ne m’allait plus. Comme de nombreuses femmes, la maternité a agi comme un révélateur, un tremplin vers une quête de sens et de flexibilité que mon ancien travail ne pouvait plus m’offrir.
J’ai donc mis ma vie de salariée de côté pour me lancer dans l’entrepreneuriat. Ma première aventure fut une marque d’accessoires pour cheveux. C’était une étape logique, une façon de renouer avec ma fibre créative tout en construisant un projet compatible avec ma nouvelle vie de maman. Après cette première expérience, je me suis reconvertie dans le digital, un domaine qui m’offrait plus de stabilité tout en préservant une certaine liberté. Mais jamais très loin, ma machine à coudre et mes carnets de croquis continuaient de m’appeler. La passion pour le textile était toujours là, en veille.
Avec le recul, cette première entreprise d’accessoires a été bien plus qu’une simple transition. C’était mon « Entrepreneuriat 101 », mon terrain d’entraînement. Lancer une marque, même à petite échelle, m’a forcée à apprendre les bases : la création d’un produit, la recherche de fournisseurs, les rudiments du marketing, la gestion des clients, les aspects juridiques. J’ai fait des erreurs, j’ai appris, j’ai tâtonné, le tout dans un contexte où les enjeux étaient purement commerciaux. Cette expérience m’a fourni une boîte à outils fondamentale. Quand, des années plus tard, l’idée de Zen & Dia a émergé d’un lieu de douleur et de nécessité, je ne partais pas de zéro. J’avais déjà les compétences pour transformer une idée, une émotion, en un projet concret. Cet entracte était indispensable pour me préparer au grand acte qui allait suivre.
Le Jour où Tout a Basculé : 23 Septembre 2023
Il y a des dates qui s’inscrivent au fer rouge dans une vie. Le 23 septembre 2023 est l’une d’elles. C’était une journée ordinaire, jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus. Après des semaines de symptômes que nous avions d’abord banalisés – une soif insatiable, une fatigue écrasante, une perte de poids –, le diagnostic est tombé comme un couperet : notre fils, Evan, était atteint de diabète de type 1.
Dans le bureau du médecin, l’odeur aseptisée de l’hôpital, les mots choisis avec soin pour adoucir le choc… tout semblait irréel. Le monde a basculé. L’annonce d’une maladie chronique pour son enfant est une expérience d’une violence inouïe. C’est un choc, un sentiment de deuil pour la vie insouciante que l’on imaginait pour lui. On se sent submergé, terrifié, et terriblement mal préparé.
Du jour au lendemain, notre quotidien a été envahi par une nouvelle réalité, une charge mentale écrasante. Calculer les glucides de chaque repas, mesurer la glycémie plusieurs fois par jour et par nuit, faire des injections d’insuline, anticiper l’impact de chaque activité physique, de chaque émotion… C’est un travail à plein temps, une vigilance de tous les instants, décrite par les chercheurs comme une expérience « accablante » et un « régime quotidien laborieux et compliqué ».
Au-delà de la gestion médicale, ce diagnostic a brisé quelque chose de plus profond : l’illusion du contrôle parental. Le rôle d’un parent est de protéger son enfant. Mais face à une maladie auto-immune, on est impuissant. On ne peut pas « guérir » un diabète de type 1 avec un baiser magique. Cette perte de contrôle fondamentale a installé en moi une anxiété permanente, un état d’hyper-vigilance épuisant. Chaque repas devenait une source de stress, chaque nuit une potentielle urgence. C’est ce sentiment constant d’être sur le qui-vive, cette peur sourde et continue, qui a préparé le terrain pour ce qui allait suivre. La détresse psychologique des parents au moment du diagnostic est un facteur prédictif puissant de troubles dépressifs ultérieurs.
Sous l’Eau : Ma Plongée en Dépression
L’année qui a suivi le diagnostic a été une lente descente. J’étais sous l’eau. Le monde continuait de tourner en couleurs, mais le mien était passé en noir et blanc, avec le son coupé. La dépression n’est pas juste un coup de blues ; c’est un brouillard épais qui enveloppe tout. Les tâches les plus simples, comme sortir du lit, devenaient des montagnes insurmontables. La joie avait déserté, même ma passion pour le dessin et la couture m’était devenue indifférente. Les crises d’angoisse et les insomnies rythmaient mes journées et mes nuits.
J’ai fini par accepter de l’aide. Antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères… J’ai longtemps hésité avant de prendre ces médicaments, mais il faut savoir être honnête avec soi-même. Ce n’était pas une solution miracle, mais c’était une bouée. Et quand on se noie, on ne refuse pas une bouée. C’était le soutien chimique dont j’avais besoin pour garder la tête hors de l’eau, le temps de reprendre mon souffle.
Cette dépression était intimement liée à un sentiment de deuil. Je pleurais la vie d’avant, la spontanéité perdue, l’enfance « normale » volée à mon fils. Les études sur l’impact du diagnostic de DT1 chez les parents parlent explicitement de « chagrin », de « tristesse » et d’un « sentiment de perte ». Ma dépression n’était pas un échec personnel ou une faiblesse. C’était la manifestation psychologique et émotionnelle de ce deuil complexe et non résolu. C’était une réaction humaine à une situation inhumaine, un processus douloureux mais nécessaire pour commencer à accepter notre nouvelle réalité.
Le Voyage Salvateur : Un Billet Simple pour Me Retrouver
Au plus profond de ce tunnel, une idée a germé : partir. Pas pour fuir, mais pour me retrouver. J’ai pris un billet pour la Martinique, mon île d’origine. Ce n’était pas une destination choisie au hasard ; c’était un retour aux sources, un besoin de me reconnecter à un lieu de sécurité et de souvenirs heureux.
Ce voyage a été, comme je le nomme, « salvateur ». Le simple fait de changer d’environnement a été une thérapie. S’extraire de la routine quotidienne, des rappels constants de la maladie, du lieu où mon traumatisme et mes habitudes dépressives s’étaient ancrés, a provoqué une rupture nette. Les psychologues appellent cela un « pattern interrupt » (une interruption de schéma). En changeant radicalement de décor, on force le cerveau à sortir de ses boucles de pensées négatives et à créer de nouvelles connexions.
La chaleur du soleil sur ma peau, le bruit des vagues, les saveurs de mon enfance… Chaque sensation était un baume. Voyager offre une rupture bénéfique avec le quotidien, réduit le stress et l’anxiété, et permet de se ressourcer en s’exposant à de nouvelles expériences positives. Loin de la pression, j’ai commencé à respirer à nouveau. J’ai senti mes forces revenir. C’est là-bas, en sentant le sable sous mes pieds, que j’ai pris la décision, progressive et réfléchie, d’arrêter tous les traitements. Je me sentais enfin capable de nager sans la bouée. Ce voyage n’était pas une simple pause ; c’était le point de départ de ma reconstruction.
La Renaissance : Comment j’ai Laissé 30 Kilos (et une Tonne d’Anxiété) Derrière Moi
De retour de Martinique, j’étais animée d’une nouvelle énergie. J’ai décidé de reprendre le contrôle, non seulement de mon esprit, mais aussi de mon corps. J’ai entrepris un rééquilibrage alimentaire. Ce n’était pas un régime punitif, mais un acte d’amour envers moi-même. J’ai redécouvert le plaisir de cuisiner des aliments sains, bruts et nourrissants. Cette démarche a eu un impact direct et puissant sur mon bien-être mental. De plus en plus d’études confirment le lien étroit entre une alimentation équilibrée et la réduction des symptômes de dépression et d’anxiété.
En parallèle, j’ai repris le sport. Au début, c’était difficile. Mais très vite, l’activité physique est devenue mon exutoire, ma source d’endorphines. Chaque séance n’était pas une corvée pour perdre du poids, mais une célébration de ce que mon corps était à nouveau capable de faire. Je me sentais plus forte, plus énergique, plus vivante.
Le résultat le plus visible de cette transformation a été une perte de près de 30 kilos. Mais ce chiffre sur la balance n’était que la partie émergée de l’iceberg. La vraie victoire était ailleurs. Après des mois à me sentir impuissante face à la maladie de mon fils et à ma propre dépression, prendre en main mon alimentation et mon activité physique a été un acte fondamental de reconquête de mon pouvoir personnel. C’était un domaine où j’avais le contrôle. Chaque repas sain, chaque séance de sport accomplie était une petite victoire, une preuve tangible que j’étais de nouveau aux commandes de ma vie. Cette transformation physique était le symbole d’une renaissance intérieure, le passage du statut de victime à celui d’actrice de mon propre bien-être.
Coudre un Nouveau Sens : La Naissance de Zen & Dia
Une fois ma propre santé stabilisée, mon regard s’est de nouveau tourné entièrement vers Evan. La question n’était plus « Comment survivre à ça? » mais « Comment vivre bien avec ça? ». Je voulais l’aider au-delà des soins médicaux, des calculs et des piqûres. Je voulais, d’une certaine manière, « supporter cette maladie avec lui », partager le fardeau pour l’alléger.
C’est là que tout s’est connecté. Toutes les pièces du puzzle de ma vie se sont assemblées. Ma passion de toujours pour le textile, le dessin et la couture n’était plus un simple hobby. C’était la solution. C’était l’outil que je possédais pour apporter du réconfort et de la praticité dans notre quotidien et celui des autres. Toutes ces heures passées à dessiner, à coudre, à imaginer, prenaient enfin tout leur sens.
L’idée de Zen & Dia est née de ce désir : allier ma passion pour le textile à une mission. Créer des accessoires et des vêtements pensés pour soulager le quotidien des enfants, des parents et des adultes vivant avec le diabète. Des produits qui ne seraient pas seulement fonctionnels, mais aussi confortables, esthétiques et discrets. Un projet qui s’inscrit dans une démarche d’entrepreneuriat social, où le but est de générer un impact positif. Je n’étais pas seule dans cette démarche ; d’autres familles touchées par le DT1 ont eu des initiatives similaires, comme la marque Warrior Hill qui crée des vêtements de sport adaptés.
La création de Zen & Dia a été l’acte ultime de transformation : prendre l’expérience la plus douloureuse de ma vie et, avec les outils de ma plus ancienne passion, la métamorphoser en une source d’aide pour les autres. La marque n’est pas seulement mon travail ; elle est la matérialisation de mon parcours de guérison. Le diagnostic n’est plus seulement l’événement qui m’a brisée ; il est devenu l’événement qui m’a donné le plus grand but de ma vie.
Le Point de Couture Final (pour l’Instant)
Zen & Dia est bien plus qu’une collection de produits. C’est une histoire cousue de fil blanc, de fil noir, et de toutes les couleurs de la vie. C’est l’histoire de l’amour d’une mère, de la force trouvée dans la vulnérabilité, et de la capacité incroyable que nous avons tous à transformer nos plus grandes épreuves en nos plus belles contributions.
Ce point de couture n’est pas la fin de l’ouvrage. Ce n’est qu’une étape dans une tapisserie bien plus vaste, qui continue de se tisser chaque jour. Mon histoire, c’est celle de Zen & Dia. Et maintenant, j’adorerais entendre la vôtre.
Julie
Vous aimerez aussi
Fêtes, friandises et diabète de type 1 : le guide pour des célébrations sereines et joyeuses
27 octobre 2025
Mission Super-Sitter : Le Guide pour Garder un Enfant DT1 (sans Paniquer!)
13 octobre 2025